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Sport de haut niveau féminin

 

 

Par Stéphanie Cornu

 

La spécificité féminine dans l’accompagnement des parcours d’excellence et le manque de compétence des entraineurs à appréhender les sportives sont toujours au cœur du débat. Ce postulat de la spécificité féminine n’a jusqu’à maintenant véritablement pas été re-questionné. Pourtant c’est sur lui que repose notre conception stratégique de la performance féminine.

Or ce modèle propre à la femme peut apparaître comme un prêt à penser trop simpliste, en décalage avec l’exigence de la haute performance, et potentiellement contreproductif. Un collectif d’entraineur institué à l’échelle de la région PACA  a bien voulu réfléchir à leur pratique professionnelle en partant du concept de la singularisation de la performance. Voici en quelques lignes, la présentation d’une vision alternative du sport de haut niveau féminin, vision qui intègre la dimension complexe et ouvre vers de nouvelles perspectives de travail.

Retour sur le paradigme de la spécificité féminine

 

Nombreux sont les témoignages d’entraineurs qui indiquent qu’entrainer les filles, c’est plus compliqué, cela nécessite des savoirs être et des savoir-faire particuliers, de la diplomatie, de la sécurité donc des compétences particulières[1].

Cette expérience partagée a conduit la communauté sportive à valider l’idée selon laquelle : «la performance sportive féminine est spécifique et doit faire l’objet d’une stratégie différenciée »

 

Incidence sur un plan pratique :

 

Ainsi, c’est la personnalisation des parcours d’excellence sportif pour l’athlète féminine et son accompagnement qui sont régulièrement proposés avec leur corollaire de pistes d’amélioration (exposées en trois points). Toutes reposent sur le dogme de la spécificité de l’entrainement des sportives

 

Point 1 : La poursuite de l’effort d’amélioration de la qualité de l’environnement de la sportive de haut niveau.

 

A court terme, la direction des sports et l’INSEP sont très attentifs aux conditions de préparation des sportives respectivement sur le plan socioprofessionnel et sur les aspects sportifs.

A moyen terme, l’enjeu est de mieux accompagner les fédérations dans la définition de leur stratégie de formation et de préparation des sportives de haut niveau pour l’olympiade 2012-2016. Sur la base d’un diagnostic partagé, un questionnement poussé devra leur permettre de faire des choix durables qui se déclinent sur l’ensemble des paramètres de la performance : entraînement, suivi socioprofessionnel, accompagnement financier…

Point 2 : Le renforcement des compétences de l’encadrement des collectifs féminins est un second chantier.

Il est envisagé la création d’un groupe d’entraîneurs qui intervient sur les collectifs féminins afin de favoriser leurs échanges d’expériences et de rompre leur relatif isolement. Il sera également fait appel à des intervenants extérieurs pour alimenter leurs réflexions sur les différents paramètres de l’entraînement.

Point 3 : Il faut identifier les fédérations sportives où il est souhaitable qu’une stratégie différenciée soit adoptée en raison d’un décalage du niveau de performance homme/femme qui ne permet pas un travail en mixité.

En conséquence, une progression du niveau des meilleures sportives passe actuellement encore par l’inscription des spécificités de l’entraînement féminin dans la culture de l’encadrement fédéral. Les éléments contribuant à la performance des sportives présentent un intérêt d’autant plus important qu’ils sont partagés, échangés et communiqués à tous les niveaux de pratique. Ils doivent être mobilisables par les techniciens pour permettre l’émergence de jeunes championnes mieux formées pour réussir au niveau international.

Pour cela la définition d’un contenu de formation relatif à l’entraînement féminin permettra de l’intégrer aux contenus de la formation initiale et continue des entraîneurs.

La cohorte de solution envisagée se construit bien à partir du postulat de la spécificité de l’entrainement des femmes. Plus de contraintes, nécessitant plus de compétences et moins valorisé… c’est l’équation telle qu’elle est posée actuellement par les acteurs en charge de l’accompagnement des sportives vers la performance.

 

Incidence sur le sens

« On ne sait pas entraîner les filles ».

« Il faut apprendre à manager les filles ».

« Les filles, c’est compliqué…».

Entrainer les femmes c’est plus compliqué, c’est moins valorisant et moins valorisé, cela nécessite des adaptations, des savoirs faire et des savoirs être particuliers… Derrière ce constat empreint de pessimisme, se jouent d’autres enjeux plus pernicieux.

Qu’est-ce qui se joue implicitement avec le postulat de la spécificité féminine ?

La féminité… notre conception de la féminité, fruit de l’éducation qui est « en-jeu »et le sport féminin (en général, et qui plus est, quand il est de haut niveau !) nous renvoie sans cesse à interroger notre propre conception de  la féminité. Or c’est bien notre modèle de la féminité qui est remis en cause dans la pratique d’un sport à très haut niveau. La force, la vitesse, la domination, sont l’apanage de l’excellence sportive. Or, toutes ces qualités sont inscrites au registre de la masculinité. Tandis quela féminité se résume « à l’art de se faire tout petite » (Simone de Beauvoir)

Depuis les années 1970, une multitude de travaux se sont axés sur les perceptions du masculin et du féminin. On en a conclu que les caractéristiques que l’on attribue au masculin et au féminin sont une construction sociale.

Tous les travaux qui ont été faits depuis ont toujours abouti au même résultat. Globalement, et indépendamment des catégories sociales, il y a l’idée que le féminin et le masculin se répartissent en deux grands pôles :

  • le pôle « agentique », associé à l’homme, renvoie à l’action, à la force, à la domination ;
  • le pôle « communal » ou « communicationnel », associé à la femme, renvoie à des capacités d’écoute, de compréhension, de communication.

Ces deux pôles sont extrêmement stables, leurs contenus peuvent éventuellement varier d’une catégorie sociale à l’autre mais on retrouve toujours les mêmes distinctions. Indépendamment des études et des pays, d’ailleurs.

Pascale Molinier[2] personnalité est venue étayer par ses travaux, cette prise de conscience. Elle a montré par exemple, que plus de 80% des répondants accordaient d’emblée aux femmes des qualités de douceur et aux hommes, des qualités de force. Cependant, ce qui change, c’est l’équilibre entre les deux.

Or, si nous avons tous de bonnes raisons d’accepter les stéréotypes de genre (car Il faut bien comprendre que les stéréotypes sont des croyances qui structurent les rapports sociaux) dans le même temps, ces stéréotypes deviennent de véritables freins à la réalisation même de la performance, il convient donc de tout faire pour s’en affranchir.

Les contre-performances sportives féminines, les plaintes récurrentes des entraineur(e)s qui révèlent une apparente complexité à accompagner les sportives doivent questionner les pratiques des entraineur(e)s.

Plus de contrainte et moins de reconnaissance est le point de départ d’un système qui ne fera que « tomber en marche »… il est temps d’innover quitte à bousculer.

 

 

Changement de paradigme et singularisation de l’entrainement

Appréhender les sportifs et sportives à partir de codes de comportement normés selon l’appartenance à un sexe (et donc stéréotypé) n’est-il pas nier le « statut » en dehors des normes du sportif ou de la sportive de haut niveau ? D’ailleurs, n’entendons-nous pas régulièrement tel entraineur vanter le comportement exemplaire et typiquement masculin d’une athlète qui performe ?

La singularisation de l’entrainementest un nouveau concept développé et né du partenariat entre le Pôle ressources national SEMC et l’Unité de préparation mentale du CREPS PACA[3].

Le travail de recherche qui a été entrepris consiste à envisager le sport de haut niveau avec une perspective de genre. L’approche par le genre,  qui a émergé ces dernières années, ouvre de nouvelles perspectives, aux femmes et aux hommes, dans la construction d’une société plus juste et plus égalitaire.

Le genre caractérise tout ce qui n’est pas biologique, a savoir les attributs psychologiques, les comportements, les attitudes, les rôles sociaux de chaque sexe. Le concept de genre renvoie aux caractéristiques attribuées et prescrites à chacun des deux sexes (pression sociale et mise en conformité aux rôles sociaux de sexe[4]). Là  où il y a catégorie de sexe, il y a hiérarchie… et il y a oppression de l’une sur l’autre. Leur remise en question ne manque donc pas d’intérêt.

Néanmoins, l’approche de genre est devenue aujourd’hui un sujet polémique, et il est nécessaire de prendre le temps de remettre un peu de bon sens au cœur de ce débat à fort enjeu.

Selon moi, l’approche de genre n’est pas à considérer comme un nouveau dogme mais plutôt comme un nouveau cadre de référence. L’approche de genre est une clé d’entrée vers la compréhension des mécanismes du déterminisme qui contingentent nos propres comportements individuels et nos interactions.

L’approche de genre est aux rapports sociaux de sexe, ce que la physique quantique est à la compréhension du monde  phénoménologique.

En fait, je me plais à considérer l’approche de genre en faisant  un parallèle avec la physique quantique, car elles ont de commun d’être nées de l’impérieuse nécessité d’expliquer quelques phénomènes en violation avec la réalité.

Il s’agit d’une véritable révolution qui s’opère sur notre organisation interne, notre  monde intérieur, et dans le même temps sur nos rapports à « l’autre ». Cette révolution est donc individuelle et collective et comme toute révolution, elle est accompagnée de son lot de résistance au changement.

La résistance au changement est certainement aussi forte que le changement visé est profond. Ce qui est en jeu dans l’approche de genre, s’apparente à ce que certains auteurs ont appelé « empowerment »[5]. Littéralement, il s’agit de redonner le pouvoir aux individus de décider de leur propre trajectoire, de s’émanciper des rôles sociaux assignés au sexe.

Parce qu’elle invite à rompre avec une vision du sport hérité de l’histoire, parce qu’elle invite à re-questionner nos représentations, certitudes et nos modèles, l’approche de genre appliquée au sport constitue la voie royale vers le processus de changement, le moteur à l’émancipation et à l’innovation.

Ainsi mon parti pris sur le sport de haut niveau est d’encourager un autre regard sur la relation entraîneur-sportive par le concept du Gender Study

Il est aujourd’hui nécessaire d’appréhender ses questions (en convoquant des approches multidisciplinaires) et tendre vers un genderstudy[6]<s/up> appliqué au sport.

De façon plus pragmatique, une action de formation à destination des entraineurs est réalisée en partenariat avec l’unité de préparation mentale du CREPS PACA. Elle utilise les techniques du théâtre pour venir questionner la féminité et la masculinité en chacun de nous indépendamment du sexe.

Permettre aux individus quels qu’ils soient de s’approprier ces qualités féminines et masculines  sans poids de norme injonctives et prescriptives, c’est finalement désexuer ces qualités qui, bien loin d’être masculines ou féminines, sont uniquement humaines. La société semble donc plus en prise avec une discrimination du principe féminin plus qu’une discrimination des femmes.

 

 

 

 

 

 


[1]Quintillan Ghislaine, Les cahiers de l’INSEP, Sport de haut niveau Féminin N°4, INSEP, 2008

[2]·Pascale Molinier est une psychologue française dont les recherches se situent dans le champ de la psychodynamique du travail et de la psychosociologie

 

[3]Se reporter à Olivier GUIDI, en seconde partie

[4] Elise VINET, Émergence, perspective et mise à l’épreuve contemporaine du constructivisme sexué, Connexion, 1998

 

[5]Au plan individuel, Eisen (1994) définit l’empowerment comme la façon par laquelle l’individu accroît ses habiletés favorisant l’estime de soi, la confiance en soi, l’initiative et le contrôle.

[6] Apparues dans les années 70 aux États-Unis, les genderstudies ont profondément renouvelé l’étude des rapports homme/femme en posant que la différence de sexe est une construction sociale.