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Pour une culture commune

Par Philippe LIOTARD et Anne TATU-COLASSEAU

 

Vouloir impulser des changements pour permettre aux femmes et aux jeunes filles d’accéder à la pratique sportive et aux responsabilités suppose la connaissance d’un certain nombre de réalités sociales. Celles qui portent sur l’organisation comme sur le fonctionnement des sports, celles qui décrivent les différentes modalités de pratique ou qui identifient les finalités qui leur sont associées, ou encore celles qui portent sur les symboliques et les valeurs sportives, sont bien sûr incontournables. Ces connaissances doivent par ailleurs s’articuler au savoir désormais disponible sur la place et le statut des femmes dans la société, ou encore sur celles qui ont été produites sur les représentations liées au genre. Enfin, vouloir impulser un changement implique des connaissances sur le changement lui-même, sur ce qui change et sur ce qui demeure, sur les mécanismes qui le génèrent ou le ralentissent. De plus, la volonté même d’impulser des transformations ne doit pas occulter le fait que le changement social ne se décrète pas, que les mutations culturelles sont longues et que les orientations prises par l’histoire sont parfois surprenantes. Pour le dire autrement, le désir de changement n’implique pas ipso facto le changement et ce désir lui-même mérite d’être interrogé.

 

Ceci étant dit, il est aujourd’hui possible de voir clair dans l’évolution du rapport des femmes aux sports. Comme le rappelle Thierry Terret dans une synthèse intitulée « le genre dans l’histoire du sport », les travaux français sur la question naissent avec les premières études historiques et sociologiques consacrées aux femmes. Ainsi – et malgré un léger retard sur les universités nord-américaines – un champ de connaissances se constitue en France dès le milieu des années 1970 qui intègre les différences liées au sexe puis au genre dans le sport. Les acquis obtenus depuis établissent un socle commun à partir duquel il est possible de décrire et de comprendre les réalités sociales actuelles, comme les logiques qui ont tenu les femmes et les jeunes filles éloignées de la pratique sportive, ou au contraire qui les ont attirées vers une activité corporelle.

Bref, les travaux sur les femmes et les études de genre portant sur les sports et plus largement sur les loisirs, ne peuvent plus être ignorées, tant ils participent désormais à une culture scientifique commune. Vouloir infléchir une politique sportive en faveur des femmes sans faire référence à ce fond commun de connaissances disponibles engendrerait le risque de produire des injonctions normatives coupées des réalités que l’on cherche à transformer.

C’est ce fond commun qui va être ici succinctement présenté.

Pour en rendre compte, l’histoire des travaux et des questionnements qui ont porté sur les liens entre femmes et sports paraît l’entrée la plus simple et la plus significative. Voir comment se sont constitué les objets d’étude et comment ont évolué les problématiques permet en effet de saisir l’évolution des préoccupations liées à la pratique des activités physiques et des sports par les femmes.

Trois moments de l’histoire des relations entre femmes et sport paraissent particulièrement significatifs des changements observés. Le premier d’entre eux court de la fin du XIXè siècle aux années 1960. La longueur de la période est aussi révélatrice que les questionnements qui s’y posent. Dans cette première phase, la question centrale consiste à se demander si les femmes peuvent faire du sport, et, si oui, à quelle condition. La seconde période s’étale du milieu des années 1970 aux années 1990. Elle marque les premiers travaux qui questionnent les liens entre femmes et sports des points de vue sociologique et historique. Enfin, depuis le milieu des années 1990, les réflexions intègrent les théories du genre, c’est-à-dire des approches qui interrogent non seulement l’engagement et la présence des femmes dans les sports mais encore l’impact symbolique des activités physiques, associées aux valeurs du féminin et du masculin et aux codes de la masculinité et de la féminité.

Les APS et les femmes

 

par Stéphanie Cornu

 

 

Chargé de mission « développement du sport féminin » au PRN SEMC, CREPS PACA

 

 

Le sport peut être vu comme un espace de liberté permettant à chacun de s’exprimer par le langage du corps. Il contribue à l’épanouissement personnel de chacun. Cependant, hommes et femmes ne disposent pas des mêmes attentes, car il existe des tendances qui orientent les hommes et les femmes vers des disciplines ou vers des modalités de pratiques de ces disciplines qui sont sexuellement discriminées.

La politique du Ministère en charge des Sports insiste sur la promotion de la mixité qui constitue un fondement essentiel des institutions républicaines françaises. Ainsi, plusieurs orientations sont déclinées sur le territoire pour répondre à cet objectif :

  • Obtenir plus d’équité dans l’accès au sport de haut-niveau.
  • Modifier le regard des médias.
  • Valoriser l’engagement des femmes aux fonctions dirigeantes.
  • Adapter l’offre de la pratique sportive aux attentes spécifiques des femmes.

Dans le prolongement de cette dernière, et partant du constat que certaines pratiques sportives sont sexuellement connotées et attirent préférentiellement l’un ou l’autre des deux sexes, il apparaît fondamental d’établir de façon précise les raisons qui poussent l’individu à pratiquer une activité physique et sportive (APS) plutôt qu’une autre.

Différents corpus scientifiques ont cherché à cerner les motivations de l’homme (au sens générique du terme) à pratiquer une APS. Moins nombreuses sont les recherches qui ont porté uniquement sur les motifs de la pratique des femmes. Or, répondre à la question : « pourquoi la femme pratique-t-elle une activité sportive ? » apparaît être un préalable à toutes actions entreprises en faveur de la promotion de la pratique des femmes.

En parallèle des contributions des corpus scientifiques tels que la sociologie, la psychologie, l’économie, l’anthropologie, une approche marketing de la pratique sportive féminine peut apporter un éclairage nouveau sur les questions du choix des disciplines et du fondement même de la pratique.

En particulier, un axe de réflexion original s’organise autour de la relation qu’il existe entre la satisfaction de consommation et l’engagement du corps.

Comment cette approche marketing constitue-t-elle une approche séduisante pour notre sujet et peut contribuer, in fine à développer une politique de féminisation en cohérence avec leurs attentes ?

 

Une approche économique considère le sport comme un marché segmenté où se rencontrent une offre (privée et publique) et une demande (les consommateurs) autour de la notion de prix.

En qui concerne l’offre de services, le segment des pratiques est pris en compte avec des modalités de consommation nombreuses et variées (loisir, scolaire, compétition, haut niveau, loisir de compétition etc.) sans chercher à les opposer ni les associer. A noter que ce segment est certainement le plus important en terme de volume financier et paradoxalement le moins étudié par la recherche en marketing.

Connaître les motivations, tenter de modéliser le comportement de consommation de pratiques sportives des femmes, afin de proposer une adaptation de l’offre de pratique constitue donc une première étape fondamentale[1].

Les récents travaux de recherche en marketing tentent de modéliser le comportement de consommation sur le segment des pratiques sportives en intégrant la dimension corporelle[2].

Apparenté à l’acte de consommation alimentaire et de produits cosmétologiques[3], la pratique sportive ne peut se concevoir sans rapport au corps. Il s’agit là du concept de corporalisation. Or, cette nouvelle approche nous conduit à nous interroger différemment : Quel type d’engagement corporel attendent les femmes par la pratique sportive ? Quelle représentation se font-elles des pratiques au niveau de l’engagement du corps ? Comment cherchent-elles à mettre en œuvre leur corps par la pratique sportive ? … et pour quelle satisfaction ?

Ce questionnement doit donc nous amener à réfléchir différemment sur la thématique du sport féminin. La pratique sportive féminine est-elle structurée par la représentation de l’engagement corporel qu’elle induit ? En d’autres termes, la représentation que se font les femmes de la mise en jeu de jeu de leur corps par la pratique d’une activité physique est-elle conditionnée par le rapport qu’elles entretiennent avec leur corps. La consommation des pratiques sportives se caractérise par la mobilisation complète de l’individu sur les plans musculaires, énergétiques, endocrinien, nerveux et sensoriel, en vue de répondre aux spécificités induites par l’activité sportive pratiquée. Elle peut alors se définir comme une expérience corporelle vécue, active et réactive.

Or, montrer que l’orientation des femmes vers la pratique sportive est déterminée par la satisfaction d’un besoin de mettre en jeu leur corps est LE nouveau champ d’investigation dont il faut désormais s’emparer.

Etudier le rapport qu’entretiennent les femmes avec leur corps constitue donc un nouvel axe de recherche qui permettrait de définir leurs attentes en matière de pratiques sportives. Il constituera probablement l’enjeu des prochaines études réalisées sur la thématique du sport féminin.

 

La lutte contre les inégalités conduit souvent à l’ambivalence des comportements. De nombreux débats s’organisent autour de ce que l’on appelle la ségrégation positive. La ségrégation positive est une autre forme de discrimination, qui par sa mise en œuvre, confine au sexisme. L’idée de ségrégation s’appuie sur le slogan « égaux mais différents ». Or, on sait que l’idée d’égalité dans la différence manifeste, en fait, toujours un refus de l’égalité.

L’éclairage du marketing nous invite alors à envisager différemment la lutte contre l’inégalité d’accès à la pratique sportive : un nouveau champ d’expectation au service de la thématique du sport féminin.

Pour conclure, le marché des pratiques étant essentiellement porté par les fédérations dans le cadre d’une mission de service public, alors une définition précise d’une politique stratégique de leur offre s’impose. (Type, mode, règlement et démarches d’apprentissage)

Si historiquement les pratiques sportives ont été conçues par des hommes pour des hommes, avancer sur notre problématique consistera dans l’avenir à faire évoluer les pratiques sportives avec suffisamment d’attributs féminins pour que les femmes s’y engagent massivement et durablement.

Le féminin et le masculin, ce n’est pas qu’une question de sexe ! C’est aussi une question de genre. Ceci nous renvoie vers nos propres cultures, notre capacité à apprécier les attributs des biens et des services que nous consommons. C’est cette appréciation de la valeur des choses que s’efforcent de mesurer les hommes et les femmes du marketing.

 

 

[1] Marijke Taks, Bart Vanreusel, Joeren Scheerder, Roland Renson, Social stratification in sport : a matter of Money or Taste ? European Journal of Sport Management, 2 (1), 4-14.

[2] Cornu. A., Engagement du corps et satisfaction, in Revue européenne de management du sport, décembre 2002.

[3] Pasini.S, Image corporelle et gestion de l’apparence : une application au maquillage, Thèse doctorat, Université de Grenoble, 1998.